MALTRAITÉ POUR AVOIR DÉMENTI SON MAÎTRE !

Veuve de Mathieu CHORET, Bastienne VEILLON présente, le 20 novembre 1677, une requête en forme de plainte à l'Intendant explicitant en détails de quelle façon Jean CHARRON dit LAFERRIÈRE, maître taillandier, traite son apprenti Jean CHORET, son fils.

Depuis plus de deux ans que ledit CHORET est au service de CHARRON, ce dernier le traite le plus « inhumainement qu'aucun apprenti se puisse avoir jamais été traité et avec des excès si grands qu'il l'a rendu et mis en un état diverses fois de pouvoir s'aider » et ce, sans aucune cause légitime. Selon VEILLON, cette dénonciation serait venue quelques fois à la connaissance de l'Intendant qui avec toute la bonté possible qu'il a eu envers CHARRON, lui aurait dit de ne
pas user d'une telle sévérité envers ceux qui dépendent de lui, ce qu'il n'aurait fait ! Loin de cela, par une haine que CHARRON aurait envers l'un des frères de l'apprenti CHORET concernant le paiement de six cordes de bois, et pour se venger, aurait battu Jean CHORET et excédé de coups au début du mois du novembre.

Ce qui a poussé VEILLON à rédiger sa requête, c'est que la veille, le 19 novembre, Jean CHARRON aurait dit à son apprenti CHORET de monter au grenier et de séparer le gros charbon de la poussière et le mettre à part. Puis, le maître serait monté et lui aurait donné un coup de pelle sur un bras qu'il lui aurait presque « rompu » sans aucun sujet de mécontentement, est-il exposé dans la requête. L'apprenti voulant sortir pour esquiver de ses mains et éviter la furie et la rage du maître, ce dernier se serait mis au-devant de la porte pour l'empêcher de sortir mais en vain ! En sortant,
l'apprenti reçu un coup de pied au ventre par la femme du maître taillandier accompagné de menaces qu'on lui fit « qu'ils [le maître et son épouse] lui rompissent bras et jambes ». Bastienne VEILLON expose que ce mauvais traitement n'est qu'une continuation de ce qu'il lui a fait paraître depuis deux ans, et que par la suite ledit CHARRON était d'une humeur fort chagrine et « immodérée » et qu'il ne manquerait jamais d'estropier l'apprenti CHORET ! Par cette requête, VEILLON demande à l'Intendant de faire comparaître CHARRON en justice et de permettre à son fils de quitter son service avec la liberté de servir tel autre maître qu'il lui plaira.

La requête est renvoyée devant le juge de la Prévôté de Québec qui, par l'entremise de l'huissier Guillaume ROGER, fait assigner Jean CHARRON à comparaître le 22 novembre. Cette journée-là, Bastienne VEILLON réitère les motifs de sa requête et demande qu'il soit permis à Jean CHORET de se retirer du service de Jean CHARRON, « attendu les excès qu'il a commis envers son fils et l'a outragé de coups dont il est encore blessé à un bras ainsi qu'il est exposé par le rapport du chirurgien qui l'a pensé ».

Jean CHARRON dit LAFERRIÈRE explique que lorsqu'il est monté au grenier, il a vu que son charbon était éparpillé et en poussière. Il aurait donc voulu reprendre son apprenti et lui dire qu'il n'avait pas fait son devoir sur le soin apporté au charbon. Au lieu de reconnaître sa faute, l'apprenti CHORET aurait dit à son maître qu'il ne disait pas vrai et fit une remarque qu'il ne pouvait le frapper ! Par cette réponse, CHARRON prit une pelle et lui en donna un coup sur le bras car, aux dires de CHARRON, l'apprenti ne devait pas démentir son maître ! CHARRON offre de payer le chirurgien ou qu'on le dédommage des dix mois qu'il reste à son contrat d'apprentissage, sinon qu'il demeure à son service et ait à achever son temps.

Après avoir vu le rapport de Thimothée ROUSSEL, chirurgien, le juge ordonne à Jean CHORET de retourner servir son maître « le reste de son temps » en faisant les choses à quoi il est obligé et porter à son maître le respect qu'il lui doit. Jean CHARRON est obligé de payer le chirurgien sans que les frais soient appliqués sur les gages de l'apprenti, qu'il lui donnera le temps de se guérir sans le presser d'ouvrages et qu'il le traitera à l'avenir comme un bon maître doit faire avec défense de le maltraiter en aucune façon !

Rédaction : Guy Perron, paléographe

Source : Prévôté de Québec, transcription des volumes 9 et 10 (registres civils), 14 janvier 1676 au 14 décembre 1677, Longueuil, Les Éditions historiques et généalogiques Pepin, tome V, coll. Notre patrimoine national no. 315, 2004.