À GENOUX DEVANT LE SIEUR GIFFARD !

Le 3 mai 1667, le juge de la seigneurie de Beauport et de Notre-Dame-des-Anges rend sa sentence dans la cause opposant Germain LANGLOIS, Anne ARDOUIN, veuve de Jacques BADAUT, et sa fille Jeanne BADAUT, femme de Pierre PARENT, défendeurs, et Pierre DUMESNIL, domestique du sieur GIFFARD, demandeur.

Cette sentence est portée en appel par les défendeurs devant le tribunal de la Prévôté de Québec le 30 juin suivant. Les défendeurs se plaignent du fait que le juge leur a fait un procès criminel par lequel ils sont condamnés en de grosses sommes d'argent, réparations d'honneur envers DUMESNIL et intérêts civils... pour une affaire de cochons !

Racontant les faits au juge de la Prévôté, Pierre DUMESNIL affirme avoir été maltraité par LANGLOIS, ARDOUIN et sa fille Jeanne à la suite d'une querelle concernant la liberté de laisser aller leurs cochons sur la grève comme le veut la Coutume de Paris. Le domestique explique que son maître lui commande de chasser les cochons de ses prairies, qui ont été défrichées au-dessus de la marée pour en avoir les profits; les grains sont clos et les bêtes ne peuvent y aller.

Après avoir rétorqué aux paroles de Denis AVISSE, DUMESNIL fut jeté par terre par Germain LANGLOIS qui l'aurait maltraité ! Ensuite, Jeanne BADAUT lui aurait donné quelques coups de bâton, suivie d'Anne ARDOUIN pour quelques gifles et coups au visage. Bien qu'il ait voulu défendre la propriété de son maître, DUMESNIL ajoute que GIFFARD n'a pris et n'a voulu prendre aucun intérêt dans cette affaire !

Appelé comme témoin, Isaac BÉDARD confirme les dires de DUMESNIL en précisant que le bâton de Jeanne BADAUT était gros comme le pouce ! La querelle terminée, DUMESNIL se serait retiré sans autre blessure que d'avoir le nez plein de sang et un petit coup contre l'œil pour s'être cogné contre la cheminée. En sortant, le domestique aurait bu « un coup ou deux d'eau de vie » avec François ALLARD, serviteur de la « BADAUDE » (Anne ARDOUIN).

Après audition de cinq témoins et les conclusions du procureur fiscal des seigneurs de Notre-Dame-des-Anges, le juge de la Prévôté considère que l'affaire devait être jugée sommairement. C'est ainsi qu'il met la sentence « AU NÉANT », c'est-à-dire annule la condamnation du juge de Beauport et de Notre-Dame-des-Anges envers Germain LANGLOIS, Anne ARDOUIN et Jeanne BADAUT, sa fille, qui devaient aller demander pardon à genoux au sieur GIFFARD et payer 129 livres de dépens et intérêts civils. Au lieu de cela, le juge de la Prévôté les condamne ensemble à 20 livres d'amende, soit moitié aux pauvres de l'hôpital et moitié à DUMESNIL. Défense leur est faite de récidiver sous peine de punition et de plus grosse amende.

Pour ce qui est de la demande faite par Anne ARDOUIN et sa fille d'avoir liberté de la grève pour leurs cochons comme c'est la pratique à Notre-Dame-des-Anges, Beauport et lieux circonvoisins, où les terres labourables sont « fermées de clôtures », le juge ordonne d'attacher les cochons pour empêcher les dégâts et à faute d'être attachés, il sera permis de tuer les cochons qui endommageront les prairies.

Le juge communiquera le procès au procureur fiscal de la Compagnie des Indes occidentales, seigneurs du pays, avec les dépositions de Jean DE LA CHAMBRE et Jean LANGLOIS, serviteurs de GIFFARD, et l'interrogatoire de Pierre DUMESNIL par lequel il appert qu'il n'a pas été si incommodé par ses blessures pour quitter ses travaux ordinaires.

Rédaction : Guy Perron, paléographe

Source : Prévôté de Québec, transcription des volumes 1 et 2 (registres civils), 2 novembre 1666 au 26 octobre 1668, Longueuil, Les Éditions historiques et généalogiques Pepin, tome I, coll. Notre patrimoine national no. 220, 2002, p. 120-121.